Attention: double tâche!

Apprentissages implicite et explicite, apprentissages procéduraux

Lorsque on apprend une tâche, on doit mobiliser une certaine concentration afin d'imiter au mieux ce qu'on nous montre ou explique, et on doit mobiliser encore de la concentration pour répéter la tâche apprise pendant un certain nombre de répétitions. A un certain moment, la tâche acquise devient plus facile  et demande aussi moins de concentration: elle est automatisée.

Il s'agit d'un apprentissage. Cet apprentissage est dit implicite pour certaines fonctions: apprendre à lancer un ballon, à faire du vélo. On regarde et on imite au mieux. Il est explicite pour d'autres apprentissages: par exemple quand l'orthophoniste reprend l'assemblage phonologique de la lecture, elle explique comment le faire et on imite la méthode.

Il s'agit de l'apprentissage d'un savoir-faire: cet apprentissage sera stocké dans la mémoire procédurale non déclarative; ce qui veut dire qu'il est disponible sans effort de récupération (on se remet immédiatement sur un vélo et on en fait, contrairement au souvenir d'une leçon d'histoire par exemple..); il est non déclaratif car habituellement il est assez difficile d'expliquer verbalement à une autre personne comment on fait (on préfère le montrer)

Efficacité et efficience

L'important dans ces apprentissages procéduraux, c'est la notion d'automatisation une fois qu'ils sont acquis: la concentration nécessaire pour les mettre en jeu est faible, voire nulle (par exemple quand vous savez conduire une voiture, on conduit parfois en "mode automatique" et on peut parfaitement parler, penser à autre chose ou à rien du tout..). Le "coût" attentionnel est très faible. Ce qui nous permet de dégager de la concentration vers une autre tâche: parler, regarder les panneaux indicateurs dans l'exmple de la conduite automobile. On peut aussi comparer le coût attentionnel à l'énergie mentale nécessaire pour effectuer une tâche.

Selon les tâches (complexes ou non) et leur automatisation (facile, difficile ou parfois impossible) la dépense attentionnelle (=énergétique) n'est donc pas la même. Pour une tâche donnée, plus on a de résultat (on est plus performant), plus on est efficace (on produit plus: par exemple le nombre de pages écrites en 10 mn...). Si pour produire cette performance la dépense énergétique est en même temps assez faible, on est alors efficient: une tâche performante peut être à la fois efficace et efficiente, mais pas nécessairement; elle peut aussi être efficace au détriment du coût énergétique..

Double tâche

Lorsque qu'une tâche n'est pas efficiente (elle consomme beaucoup de concentration), il est alors difficile d’exécuter cette tâche simultanément avec une autre. En effet la concentration déployée pour l'une ne permet pas de partager l'attention nécessaire à une seconde (c'est le concept d'attention divisée: on est dans une métaphore énergétique; l'énergie à un instant donné étant constante, plus on fait de choses, plus on divise cette énergie).

Donc quand plusieurs tâches nécessitent de la concentration et qu'elles sont pratiquées simultanément, chacune des tâches est moins bien faite, ou une des 2 tâches n'est pas faite du tout: c'est le concept de la double tâche. Nous nous reposons inconsciemment sur les automatismes acquis pour pouvoir faire plusieurs choses en même temps (manger et parler, conduire et discuter, écrire sous la dictée..). Un facteur limitant apparaît lorsqu'un des acquis n'est pas efficient et va se comporter comme un goulet d'étrangement quant à notre activité.

Quel rapport avec les apprentissages scolaires?

La lecture, l'écriture, l'orthographe, le graphisme relèvent de ce type d'apprentissage: procédural, plus ou moins explicite. Les enseignants constatent chez la majorité des enfants cette automatisation de l'acquis en quelques années d'école. Que se passe-t-il quand il y a un bug, comme dans les troubles spécifiques des apprentissages (TSA) comme une dyslexie, dyspraxie.. ?
  • D'abord l'acquisition devient très lent (retard d'acquisition), car malgré la répétition, l'automatisme ne semble pas être possible: c'est la galère et les enfants pas plus que leur environnement ne comprennent pas pourquoi.. On incrimine la mauvaise volonté, un "blocage". Les enfants "bloquent" d'ailleurs assez rapidement car il y a aucune gratification à ne pas réussir.. Ils sont peu motivés par l'activité, essaient d'échapper à la contrainte, évitent le plus possible d'être confrontés à la difficulté: certains enfants refusent le graphisme par exemple assez tôt. On conseille rapidement aux parents de consulter, de voir un thérapeute: commencent la série de rééducations orthophoniques, psychomotrices, le suivi psychologique. Malgré les rééducations, les progrès restent cependant parfois désespérément lents. On incrimine alors parfois le thérapeute, on en change, mais la situation reste souvent la même...
  • quand à force de motivation(s), l'enfant arrive enfin à écrire ou lire, l'activité reste très lente: le manque d'automatisme entraîne une lenteur dans la réalisation. L'enfant semble avoir un "cerveau lent"..Il n'arrive pas à comprendre assez rapidement les consignes, à recopier les devoirs, à finir ses contrôles. On demande souvent aux parents de vérifier son intelligence...
  • l’activité acquise étant non efficiente, les enfants sont en double tâche permanente: un enfant dysgraphique ne pourra pas écouter l'enseignant ou faire attention à son orthographe en même temps qu'il écrit; un enfant dyslexique aura du mal à comprendre ce qu'il lit au début. Comme ils ont besoin de plus de concentration tout le temps, ils se fatiguent assez vite (métaphore de la voiture: pour aller plus loin, il faut consommer peu). On incrimine alors leur manque de concentration, alors qu'ils épuisent tout simplement plus vite leur stock de concentration..
    Les enfants peuvent d'ailleurs cumuler un TSA avec un véritable déficit attentionnel (TDA): on doit consommer plus, alors qu'on a un réservoir de carburant plus petit.. Cette association TDA + TSA ne semble pas fortuite au niveau cérébral et semble survenir plus fréquemment que dans la population générale (non TSA)
  • certains enfants dysgraphiques arrivent à acquérir une écriture assez lisible mais restent très lents et cette écriture reste non efficiente dans le milieu scolaire. Les enfants, les parents et les enseignants sont satisfaits du résultat de la motivation de l'enfant, de l'environnement...
    Mais je me pose toujours certaines questions sur la réelle adaptation de l'enfant par rapport aux demandes scolaires: 
    • cette écriture lente, fatigable permet-t-elle à l'enfant d'écouter, de comprendre ce qu'il écrit?
    • Que favorise-t-on réellement: les apprentissages de l'enfant, ou son écriture?
    • En "normalisant" le symptôme, est ce qu'on lui a permis d'utiliser ses autres bonnes compétences cognitives (les point forts) ou ne se concentre-t-on que sur son point faible?

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