Faut il rééduquer l'écriture chez les dyspraxiques?

Récemment, j'ai assisté à la IIIeme journée de CERTA/RESODYS (Marseille) sur les troubles de l'écriture. Beaucoup de communications intéressantes comme d'habitude. J'espère qu'ils publieront les interventions dans la revue Developpement des editions Solal (que je vous engage à acheter vu la qualité des articles, pub gratuite.. D'autant qu'on peut acheter les articles à l'unité: vive la modernité!)

V. Barraud ergothérapeute du lointain nord a fait un vigoureux (et énergique) plaidoyer en faveur de la rééducation de l'écriture manuscrite chez les enfants dyspraxiques.
Le tendance actuelle est en effet l'utilisation très précoce de l'outil informatique, en raison de la grande difficulté d'acquisition d'une écriture automatisée chez ces enfants.  Mais cela veut-il dire que cette acquisition est définitivement impossible?
Les avantages pour garder une écriture manuscrite seraient:
- une moindre marginalisation de l'enfant dans le cadre scolaire: il est vrai que certains enfants refusent l'outil informatique à cause du regard des autres..
- une aide à l'acquisition de l'orthographe lexicale: différents études montrent que l'acquisition de l'orthographe est meilleure avec le geste d'écriture qu'au clavier (mais il s'agit d'enfants sans dyspraxie..)

Elle a montré sur une petite série d'enfants dyspraxiques que certains pouvaient acquérir une écriture correcte et surtout assez efficiente (donc non génératrice de double tâche) en milieu scolaire après une rééducation ciblée (en ergothérapie dans son étude) et intensive (2 fois/semaine), sur une période d'environ 18 mois. Elle s'appuie comme d'autres sur le guidage visuel (les traits rouge et verts, les grands interlignes..) et verbal bien sûr. Le résultat semble persistant avec le recul. Pour un enfant, le résultat n'était pas efficient et il a fallu orienter vers l'informatique.

Je retiens de cette étude:
- oui la rééducation ciblée, spécialisée et intensive fonctionne pour certains enfants, et donc l'acquisition de l'écriture manuscrite n'est effectivement pas impossible pour tous les enfants dyspraxiques.  Peut-être cette voie serait-elle utile au début de l'apprentissage, en début de primaire, sur une période de 2 ans? Encore faut-il trouver des rééducateurs compétents à cet effet..(acte non remboursé par ailleurs..)
- cela demande une forte motivation de l'enfant et de sa famille
- cependant les autres avantages de l'outil informatique restent entiers: figures géométriques, correcteur orthographique, organisation des leçons et des devoirs... Et donc je pense qu'un apprentissage précoce de l'ordinateur et du clavier, en parallèle, le plus précocement possible, reste toujours d'actualité.

Par ailleurs, le travail d'association motricité-orthographe n'est pas confiné au geste d'écriture, puisque dans la même session il a été évoqué le rôle de l'écriture sur les murs ("graffitis", "tag") dans l'acquisition de l'orthographe.  C'est une voie intéressante pour la psychomotricité car on peut imaginer à l'heure actuelle des logiciels avec capture gestuelle (comme la Kinect de Microsoft) et les utiliser dans un cadre mixte psychomoteur et orthophonique: les informaticiens, au travail!

Comment étudier le langage verbal?


A quoi sert-il de parler?


Le langage verbal a de nombreuses fonctions: communiquer un message, se faire des amis ou s'insérer dans contexte social (fonction sociale, où on parle parfois sans vraiment communiquer..), communiquer des émotions (poésies, théatre.. où la forme est importante, autant que le fond), raconter des histoires..

Le langage ne s'apprend pas de façon explicite dans la langue maternelle: l'enfant l'acquiert assez vite dans son contexte familial et social ordinaire, apparemment sans que personne lui dise comment faire. Des premiers gazouillis du bébé à la phrase complète, il y a moins de 3 ans. C'est probablement une fonction génétiquement déterminée chez l'être humain, qui se développe normalement dans son environnement ordinaire (les orthophonistes parlent de "bain de langage", comme si les mots coulaient de source..)

Quand on apprend plus tard une langue étrangère, les processus d'apprentissages sont completement différents (on s'appuie beaucoup sur l'écriture). Et on rame beaucoup plus..

Je vais introduire un certain nombre de termes et définition qui vous permettront de mieux comprendre les comptes rendus des tests et des bilans d'orthophonie.

Etudier le stock..

On s'appuie sur les données de la psycho-linguistique pour découper les différents aspects du langage verbal:
- la phonologie: c'est l'étude des caractères du son produit ou compris
- le lexique: c'est le stock de vocabulaire (les mots)
- la morpho-syntaxe: c'est la combinaison des mots entre eux, avec des mots outils et des règles de combinaison (la grammaire), les variations des préfixes et suffixes en fonction des conjugaisons, des pluriels, des genres.
- la pragmatique: c'est la façon d'utiliser le langage dans le contexte social, la quantité des informations émises, la pertinence des informations dans le contexte de communication, la compréhension du méta-langage (ce qui participe au message sans être directement inclus au langage: ironie, implicite, humour..)

Bien sûr ces aspects sont toujours doubles:
- la production (ou expression): c'est le langage qui est émis par soi vers l'autre
- la réception (ou compréhension): c'est la compréhension du langage émis par l'autre

Donc pour étudier le langage verbal on essaie d'avoir une idée des 4 aspects dans chaque sens (expression/reception). Le langage de l'enfant étant en développement, il est important d'avoir des tests étalonnés en fonction des âges étudiés, pour avoir des normes de comparaison (écart à la moyenne).

Les tests
il existe de nombreux tests publiés, pour chaque aspect décrit. Certaines batteries de tests vont proposer une étude de l'ensemble du langage alors que d'autres s'attachent à un aspect psycho-linguistique. Il est alors difficile d'isoler un caractère précis du langage, et certains tests combinent plusieurs aspects.

- le langage spontanément produit ou en situation de jeu est d'abord observé: on peut mesurer la longueur des énoncés, la complexité grammaticale des phrases, le vocabulaire produit.

- la phonologie: on peut étudier l'expression phonologique spontanée, ou faire répéter des syllabes ou des mots ou des phrases (phonologie en répétition); on peut aussi faire répéter des mots qui n'existent pas (logatomes ou pseudo-mots). Il existe également des épreuves de fluence phonétique (dire le plus de mots commençant à par un son quelconque), ce qui nécessite également un bon lexique
En compréhension, ce sont des épreuves de discrimination phonétiques (distinguer des sons voisins comme d/t, b/d, k/g).

Il existe aussi des tests de manipulation des sons (découpage des parties élementaires du son qu'on appelle des phonèmes: par exemple dans la syllabe pa, on a "p" et "a") comme la soustraction du phonème initial ou final, le jugement de rimes. Ces tests de manipulation explorent ce qu'on appelle la conscience phonologique ou métaphonologie, qui est un bon indicateur de l'aptitude à la lecture.

- le lexique est exploré le plus par des épreuves de désignation d'images (on prononce un mot et l'enfant doit désigner une image parmi d'autres: lexique en compréhension) ou de dénomination (l'enfant doit dire le mot correspondant à une image). On peut également demander d'évoquer le plus possible de mots se rapportant à un thème donné (fluence sémantique). On désigne par "manque du mot" des difficultés importantes d'évocation lexicale (alors que la compréhension du lexique pourrait être normale)

- la syntaxe est explorée en expression par les épreuves d'intégration morpho-syntaxique: il faut compléter des morceaux de phrases (tests de closure), ou décrire des situations. En compréhension il s'agit de comparer des phrases similaires ou d’exécuter des consignes plus ou moins complexes (token test, compréhension des consignes).

- la pragmatique est plus difficile à explorer: il ne s'agit pas d'explorer un stock mais de voir l'usage du langage dans son contexte. Ce qui nous amène naturellement à..

Etudier le langage social

le langage est indissociable de son rôle social et des interactions c'est pourquoi il est aussi nécessaire de connaître la façon dont l'enfant se sert de son langage.

- la fluence est la quantité de langage produit. Un enfant peut être assez silencieux ou au contraire très bavard (même avec un retard de langage). Il faut dissocier la fluence spontanée (quand il joue, ou interagit naturellement avec son environnement) et en situation dirigée (raconter une histoire précise ou raconter une histoire en images..). On parle d'hypospontaneité quand la fluence habituelle est très faible, surtout en situation dirigée.

- l'informativité est la quantité d'information produite par le langage. On peut ainsi avoir un enfant qui parle beaucoup pour ne rien dire au final... le "party-cocktail syndrome" désigne un langage fluent mais peu informatif, qu'on rencontre dans certaines pathologies (syndrome de Williams, hydrocéphalies..).
En dehors du littéralisme, quand le récit est donné "en vrac", avec une mauvaise structuration du déroulement temporel, l'informativité est aussi faible. C'est une plainte fréquente à tout âge (mais beaucoup chez les adolescents) : il ne sait pas raconter une histoire, ou expliquer une situation.

- l'implicite est un aspect important du langage: c'est tout le message non explicite du discours, celui que tout le monde devrait interpréter "spontanément". C'est la source de mauvaises interprétations, compréhension "littérale" (littéralisme) ou au 1er degré: par exemple quand on demande à un enfant: "tu peux ouvrir la porte?" et que la réponse est "oui" (sans ouverture de la porte, bien sûr..)
Vous vous rappelez du sketch de Pierre Dac (en gros..): "
- monsieur le devin, pouvez vous deviner le numéro de securité sociale de cette femme?
- oui je le peux!
- il peut le faire! on applaudit monsieur le devin!.."

- Bien d'autres aspects de la pragmatique appartiennent au domaine social: la transmission des émotions, la théorie de l'esprit, la compréhension des conventions sociales, le respect des temps de parole..

- Contrairement à l'étude du stock, les tests concernant ce domaine sont rares. Il s'agit de mettre l'enfant en "situation" (faire semblant, jeu de rôle, récit et interprétation d'images, de bandes dessinées), ou d'observer l'enfant dans son milieu naturel.


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